Bienvenue à Oakland - Eric Miles Williamson
Lecture en partenariat avec News Book
&
les éditions Fayard
Merci de cette opportunité !
Edition : Fayard
Parution : 24 Août 2011
T-Bird Murphy est un homme révolté qui rejette la société et vit dans un garage isolé du Missouri.
Violent, raciste et marginalisé, il revendique la déchéance comme nouvelle forme de liberté et tire sa force de la musique et de la littérature, apprises en secret.
Dès le premier chapitre du livre, on se prend une grande claque en pleine figure, pardon, pour rendre le style de l’auteur, il faut que je commence ainsi :
Dès le premier chapitre de ce bouquin on se prend une grande claque dans la gueule, on n’est pas là pour regarder timidement du bout de la lorgnette, pour tenter d’apercevoir un bout de la vie du héros tout en détournant les yeux si ce qu’on lit devient trop dérangeant. Oh que non ! T-Bird vous file d’emblée un tel coup de poing que vous comprenez de suite que puisque vous l’avez voulu, il ne vous fera pas de cadeau, n’enjolivera pas ce qu’il pense et ce qu’il a à raconter.
Autant que ce soit clair d’emblée…
Là, si vous avez supporté de vous faire insulter tout au long du premier chapitre, vous entrez dans un univers glauque, alcoolisé, laborieux et noir : Bienvenue à Oakland !
On est certes en Californie, mais pas du côté des villas hollywoodiennes et des stars siliconées. On est dans la vraie vie :
« Ce livre parle de gens qui travaillent pour gagner leur vie, les gens qui se salissent et ne seront jamais propres, les gens qui se lavent les mains à la térébenthine, au solvant ou à l’eau de javel …quand ils pèlent comme un serpent qui mue, dessous il reste encore de la graisse, de l’huile et de la crasse, imprégnées jusqu’à l’os. Pour toi, ce sont des personnages, pour moi c’est la famille, ceux avec qui j’ai grandi. »
T-Bird vit et travaille dans cette ville où l’insouciance n’est pas de mise ; où règnent la loi des gangs : les mexicains, les Hell’s Angels ; où les accidents de chantier – et les autres - sont légions ; où la violence et les morts n’impressionnent même plus les gamins. Une ville où les gens comme lui vivent dans des caravanes, quand ils ont la chance d’en posséder une.
C’est une vie sinistre, une vie de galère, mais c’est une existence où le mot solidarité est bien réel, cette solidarité entre potes, entre losers. Ensemble contre la vie, contre l’injustice, contre la connerie quand l’un d’entre aux va trop loin et surtout contre ceux qui se permettraient bien de donner des leçons à ces hommes à qui la vie n’a plus grand-chose à prendre, s’ils en avaient le courage.
Une entraide qui aide à rester debout, qui donne la force d’être un homme et de relever la tête avec fierté.
Entre les boulots, pire les uns que les autres ; les nanas qui se tirent quand passe quelqu’un de mieux et qui extorquent des pensions alimentaires à vie ; la violence quotidienne ; la famille qui n’est pas la vraie famille ; T-Bird arrive malgré tout à voir de la beauté là où tout un chacun ne verrait que du désespoir. C’est un homme épris de musique, notamment de jazz. Lui-même joueur de trompette, comme son père – qui n’est pas son vrai père - et son grand-père, c’est une façon pour lui d’exprimer la beauté, la poésie, la douleur aussi.
« …il a pressé ses lèvres sur l’embouchure et soufflé, soufflé sa force et ses angoisses, son amour, son désir et sa volonté de faire face, cette force qui faisait de lui ce qu’il était, ce qu’il avait été et ce qu’il serait à l’avenir, la force d’un homme qui ne s’enracine nulle part, mais au contraire se dissémine dans le bitume du monde… »
Si ce jeune homme, ce « guerrier de l’endurance », comme il se définit lui-même, semble subir jour après jour les aléas d’une vie sordide faite de violence, de misère et de puanteur, il n’aspire qu’aux rêves de tout un chacun : un travail qui ne serait pas un travail de force ou une abomination pour l’odorat ou pour la peau, une femme gentille qui l’aimerait vraiment, un enfant bien à lui, une vraie maison…
Pour ma part cette lecture n’était pas gagnée au départ, mais T-Bird a su se faire admettre au fil des pages, petit à petit, et je me suis même surprise à l’apprécier pour ce qu’il est : sous ses allures de gros dur lucide et indifférent, sa sensibilité est là, pas si profondément enfouie…
Un roman qui ne change rien au monde qui nous entoure mais qui le raconte sans ambages, sans filtres.
A lire pour l’ambiance, extrêmement bien rendue.