Le jeu des ombres - Louise Erdrich
Edition : ALBIN MICHEL
Parution : Août 2012
Rythmé à la manière d'un thriller sombre et tragique, le Jeu des ombres est une huis-clos hypnotique, sans doute le livre le plus personnel de Louise Erdrich. Portrait d'un mariage et d'une famille sur le point de voler en éclats, d'un homme et d'une femme en proie à la violence d'un face-à-face, c'est aussi une réflexion sur les cicatrices qu'une histoire collective douloureuse peut laisser sur les individus.
Gil est un peintre reconnu qui doit son succès à Irene, sa femme, un écrivain qui a longtemps été son modèle. Quand elle découvre que son mari lit son journal intime, Irene décide d'en rédiger un autre, qu'elle met cette fois-ci en lieu sûr. Elle y livrera sa vérité, se servant du premier comme d'une arme pour manipuler son unique lecteur. Une guerre psychologique commence, qui va révéler le côté obscur de chacun des personnages. En faisant alterner les journaux d'Irene et un récit à la troisième personne, Louise Erdrich témoigne, une fois de plus, d'une prodigieuse maîtrise narrative.
Dès le départ, le lecteur ressent la pesanteur, l'atmosphère lourde et malsaine qui règne dans ce couple.
Jeux d'ombres, jeux de de dupes. De trahisons en vérités, ils se livrent des mensonges avec beaucoup de haine mais aussi beaucoup d'amour ou tout au moins des liens étranges et profonds, d'appartenance, de reconnaissance, d'obligations. Les deux protagonistes sont aussi maîtres dans l'art de l'autodestruction.
Ils ne s'entendent plus, mais Gil et Irène sont incapables de vivre l'un sans l'autre, de prendre une décision raisonnable - qui semblerait pourtant couler de source - qui leur épargnerait à chacun bien des souffrances morales et protégerait un tant soit peu leurs enfants devant lesquels ils se délitent misérablement.
C'est une histoire sur la dérive d'un couple où l'ambiance est constamment oppressante, où la tension ne flanche jamais. Même pour le lecteur, cela peu paraître parfois étouffant. Pourtant la psychologie des personnages, leurs vécus et la guerre psychologique qu'ils se livrent en font un très bon roman, servi par l'écriture de l'auteur.
C'est une histoire hors normes, la description d'un lien dévastateur qui peut mettre mal à l'aise pendant la lecture tant ce huis-clos est une sombre tragédie des temps modernes, une descente au tréfonds des pensées et l'enfer qu'elles produisent.
On retrouve dans les quelques bribes de l'histoire Amérindienne évoquées par les origines d'Irène le thème cher à Louise Erdrich, même si ce roman est très différent de ses précédents.