Scintillation - John Burnside
Edition : Métailié
Parution : Août 2011
Dans un paysage dominé par une usine chimique abandonnée, au milieu de bois empoisonnés, l'Intraville, aux immeubles hantés de bandes d'enfants sauvages, aux
adultes malades ou lâches, est devenue un modèle d'enfer contemporain. Année après année, dans l'indifférence générale, des écoliers disparaissent près de la vieille usine. Ils sont considérés
par la police comme des fugueurs.
Leonard et ses amis vivent là dans un état de terreur latente et de fascination pour la violence. Pourtant Leonard déclare que, si on veut rester en vie, ce qui est difficile dans
l'Intraville, il faut aimer quelque chose. Il est plein d’espoir et de passion, il aime les livres et les filles.
Il y a dans ce roman tous les ingrédients d’un thriller mais le lecteur est toujours pris à contrepied par la beauté de l’écriture, par les changements de points de vue et leur ambiguïté, par
le raffinement de la réflexion sur la façon de raconter les histoires et les abîmes les plus noirs de la psychologie. On a le souffle coupé, mais on ne sait pas si c’est par le respect et
l’admiration ou par la peur. On est terrifié mais aussi touché par la grâce d’un texte littéraire rare.
Dans Intraville, ville délabrée autant qu’empoisonnée par des déchets chimiques, les habitants dont beaucoup sont malades, font profil bas ; dans les rues, des enfants sont plus ou moins livrés à eux-mêmes et certains d’entre eux disparaissent dans une indifférence quasi générale.
La police, en la personne de John Morrison, classe ces disparitions en fugues parce qu’elle n’a guère d’autres choix.
« C’est ainsi que ça se passe : les morts s’en vont dans leur solitude, mais les jeunes morts restent avec nous, ils colorent nos rêves, ils nous poussent à nous interroger, à nous étonner d’être assez malchanceux, maladroits, ou platement ordinaires pour continuer sans eux. »
Dans cette atmosphère troublante de thriller fantastique, Léonard, jeune ado passionné par la lecture, se débat entre un père malade et les enfants d’un gang, se découvre et se laisse entraîner dans un attrait presque magnétique pour la violence.
« …c’est la différence entre s’en foutre et ne pas s’en foutre. Si mal que ça aille, la plupart des gens continuent de tenir à quelque chose. C’est ce qui les rend tristes, putain, et c’est ce qui les rend beaux. »
Voilà l’ambiance noire et étrange de ce roman. On pourrait y étouffer s’il n’était servi par une écriture magistrale par laquelle on se laisse porter, où que l’on veuille nous emmener.
Dans ce monde apocalyptique, l’auteur ouvre des pistes dans les méandres de nos cauchemars, ne ferme aucune porte et abandonne le lecteur à ses peurs, le laissant explorer par lui-même chacun de leurs recoins.
Où mènent ces pistes ? Dans les tréfonds psychologiques de l’âme et des comportements humains.
« Ça sert à ça l’école, bien sûr. C’est là pour nous former à la discipline vitale de l’impuissance. Evidemment, le contraire de l’école c’est les livres. Moi, j’adore les livres, mais je n’ai pas les moyens de m’en acheter…
C’est vraiment typique de la façon dont marche le monde : les gens qui adorent les livres, ou autre, n’ont pas les moyens de s’en acheter, pendant que les gens bourrés de fric font des études commerciales pour pouvoir gagner encore plus d’argent et maintenir les liseurs de livres dans l’impuissance. »
Tout en allégories, ce roman fascinant laisse un goût étrange.
Une lecture dense, exigeante, déconcertante et envoûtante à laquelle j’ai quand même préféré, du même auteur : « La maison muette » parue en 2003.
Ce billet est déjà paru en partie dans le N°1 de Litté Mag du 15 Oct 2011.