Le désert et sa semence - Jorge Baron Biza
Edition : Attila
Parution : Août 2011
Spectateur étrangement impersonnel des mutations du visage, Mario, le narrateur, prend soin de sa mère, Eligia, le jour, tandis qu’il va la nuit se perdre dans
les bas fonds des grandes villes.
Réflexion esthétique, familiale et passionnelle, Le Désert et sa semence évoque aussi en filigrane l’histoire des luttes argentines des années 1960, Mario comparant implicitement ses parents
au couple Peron. Ironie de l’histoire, le corps embaumé d’Evita a été retrouvé à Milan, à quelques mètres de la clinique où se faisait opérer la mère de Biza !
Voilà un roman aussi bien étrange que passionnant. Ecrit en 2001, traduit seulement aujourd’hui, ce texte est tiré de l’histoire vraie de l’auteur, dans les années 60.
Mario est le fils d’un couple très impliqué dans la politique Argentine : elle, Eligia, est une rivale d’Eva Peron, lui, Aron, est un écrivain engagé dans différents partis politiques. Leur ménage est instable et ne cesse de s’entredéchirer. Lors d’une ultime conciliation Aron agresse Eligia au vitriol. Il se suicide peu de temps après.
Le jeune Mario a 22 ans et, revenant sur le passé, il raconte son enfance partagé entre ces amants terribles, vivant tantôt avec elle, tantôt avec lui. Les souvenirs des exils et des divers emprisonnements l’ont profondément marqués et de là découle probablement son instabilité émotionnelle.
Mario est devenu une sorte d’ange gardien pour Eligia, prenant soin d’elle dans toutes les étapes de sa longue reconstruction, opération après opération, de Buenos-Aires à Milan. Lui se dégrade plutôt, à la recherche d’une place, de sa place, au travers d’une mère aimée et d’un père haït auquel il ressemble malgré tout, notamment par sa descente toujours plus profonde dans l’alcool. Au fil des pages, il fait de curieuses rencontres parfois joyeuses, parfois sordides. Il est dans une espèce de fuite en avant, dans le toujours plus loin, dans la difficulté d’accepter cette pesante hérédité.
L’écriture est hypnotique, le récit hallucinant. On ne ressort pas indemne de cette quête désespérée. Les réflexions sur le passé et l’avenir, sur les incertitudes ; le rapprochement constant entre la reconstruction d’Eligia et la dégradation de l’Argentine, tout est perspicace, bien vu.
Un beau texte dense et exigeant, raconté volontairement de façon clinique et détachée.
Le livre est illustré avec originalité par Lorenzo Mattotti et enrichi d’une documentation finale (sources de l’auteur, dossier analytique) qui permet d’en savoir plus, notamment sur l’usage du cocoliche (mélange d’espagnol et d’argentin).