L'autre comme moi - José Saramago
Editions : Points
Parution : Octobre 2006 (Janvier 2005 chez Seuil)
Tertuliano Maximo Afonso, professeur d'histoire, découvre, dans un film loué par hasard, son double parfait.
Horrifié, il visionne d'autres films qui confirment sa découverte. Avec l'aide de sa maîtresse, il part à la recherche d'Antonio Claro, cet alter ego.
Du désordre de l'identité naît la tragédie.
Il faut reconnaître que le sujet de ce roman ne manque pas d'intérêt, qu'en plus de cela l'auteur possède un certain humour et une bonne dose d'ironie.
A cela il faut ajouter un style très particulier - digne d'un prix Nobel - et que l'on se doit de saluer l'écriture et l'emploi de mots fins et érudits.
Pour les dialogues, J.Saramago n'emploie pas de tirets, il les écrit à la suite, séparant par de simples virgules et majuscules le changement d'interlocuteur. Il faut par conséquent donner à cette lecture dense du temps et une attention assidue, mais le jeu en vaut la chandelle.
" Il se passera pour vous la même chose que pour moi, chaque fois que vous vous regarderez dans une glace vous ne serezjamais sûr que ce que vous voyez est votre image virtuelle ou mon image réelle, Je commence à croire que je parle à un fou, Rappelez-vous la cicatrice, si je suis fou, le plus probable c'est que nous le syons tous les deux, J'appelerai la police, Je doute que la question puisse intéresser les forces de l'ordre, je me suis borné à faire deux appels téléphoniques en demandant à parler à l'acteur Daniel Santa-Clara que je n'ai ni menacé ni insulté et à qui je n'ai causé aucun tort, où est mon crime, Vous nous avez dérangés, ma femme et moi, arrêtons donc là, je vais raccrocher, Etes-vous sûr que vous ne voulez pas que nous nous rencontrions, ne ressentez-vous pas la moindre curiosité, Je ne ressens aucune curiosité et je n'ai nulle envie de vous rencontrer, Est-ce votre dernier mot, Le premier et le dernier, S'il en est ainsi, je vous prie de m'excuser, je n'avais pas de mauvaises intentions, Promettez-moi de ne plus téléphoner, Je le promets, ......"(et la conversation se poursuit ainsi encore une demi-page).
Tertuliano est très perturbé dans sa petite vie toute simple par l'existence de son double et il va déployer des trésors d'ingéniosité pour en savoir plus et pour savoir qui il est. Que cela ne lui suffise pas, le lecteur s'en doute. Que cela provoque chez son double une perturbation égale semble inévitable.
Bien sûr il va y avoir rencontre entre les deux protagonistes et oui, ils se ressemblent exactement en tout point.
Leur étrange ressemblance va les entraîner dans des situations cocasses, des imbroglios, quiproquos de toute nature, ou plutôt le lecteur verra vite qu'ils se mettent eux-mêmes dans ces situations.
"...comme si la ressemblance choquante de l'un avait soustrait quelque chose à l'identité de l'autre."
Il faut également essayer de maintenir l'esprit en alerte car les nombreuses digressions de l'auteur - toutes intelligentes - sont aussi nombreuses que variées. En effet il pense en lieu et place du lecteur, de l'intériorité de son personnage ainsi que du "bon sens" que lui-même nomme ainsi, en leur donnant la parole. Cela donne à la lecture un rythme précis, hypnotique qui empêche presque de respirer et de réfléchir car tout est dit, tout est imaginé et il n'y a comme plus de place à la pensée libre.
"C'est ainsi que nous affirmons et nous nions, c'est ainsi que nous convainquons et que nous sommes convaincus, c'est ainsi que nous argumentons, déduisons et concluons, discourant imperturbablement en nous tenant à la surface de concepts sur lesquels nous n'avons que des idées très floues, et malgré la fausse assurance que nous feignons d'avoir en avançant à tâtons au milieu du brouillard verbal, nous finissons tout de même par nous comprendre tant bien que mal et parfois même par nous rencontrer."
L'auteur arrive même parfois à anticiper l'action future par un mot, une phrase avant de revenir au fil du récit.
La fin est d'une ironie macabre, un brin machiavélique.
Je reconnais avoir fait des pauses, entrecoupant cette lecture avec d'autres, mais je ne regrette en aucun cas car ce fut une découverte riche et prenante.
La lecture de ce titre entre dans le cadre du challenge des "12 d'Ys" catégorie N° 3 "Nobel de littérature".