L'appât - José Carlos Somoza
Edition : Actes Sud
Parution : Octobre 2011
Fini les détectives, les policiers, les médecins légistes. Place aux ordinateurs, aux profileurs, aux appâts et… à Shakespeare. L’élite du “dispositif ” est à la manœuvre pour traquer l’insaisissable “Spectateur” qui terrorise Madrid.
Génie absolu qui a traversé les siècles ou acteur inculte, presque illettré, usurier, ivrogne ? L’aura de
mystère qui entoure Shakespeare repose sur les doctrines occultes qui étayent son théâtre et pose la satisfaction du désir à l’épicentre de notre construction
psychologique.
Les services de police et de renseignements de Madrid l’ont bien compris, qui dans ce futur proche où la
technologie de pointe n’est plus d’aucun recours dans la traque des assassins, consacrent de colossaux moyens financiers et humains à décrypter ces codes élisabéthains. Un centre de formation a
été spécialement créé pour initier les agents aux techniques des “Masques” : déterminer à quelle source de plaisir réagit le suspect et le neutraliser par la mise en scène idoine qui lui procure
une véritable overdose du seul plaisir auquel il ne peut résister.
Ces agents s’appellent “les appâts” et parmi eux, Diana Blanco est le meilleur élément. Lorsqu’elle découvre
que sa sœur, qui a choisi d’embrasser la même profession, vient d’être enlevée par le Spectateur, un dangereux psychopathe qui terrorise la ville, elle mène une lutte contre la montre qui la
conduira directement jusqu’à l’antre du monstre. C’est du moins ce qu’elle croit. Subversif, inquiétant, inventif, subtil.
Où Somoza atteint l’apogée de sa folie et de son art.
Après avoir exploré la Grèce antique, l’art, la poésie, la physique, l’écriture et la bible, Somoza consacre cet opus au théâtre et plus particulièrement à Shakespeare dont il connaît l’œuvre sur le bout des doigts.
Passé maître dans l’art du polar littéraire qui explore la psyché humaine et ses perversions, l’auteur atteint le paroxysme d’une imagination fertile et perverse. Il amène de façon troublante et ingénieuse le lecteur à s’interroger sur les tréfonds de son être et de sa personnalité : ce qui se déclenche en lui au moment où naît le désir pour quelqu’un ; ce qui fait que ce même désir a pu être déclenché en lui à ce moment-là…
Dans un maniement subtil et parfait de l’écriture et de la langue, il mêle le réel et l’imaginaire, maîtrise l’art de l’ambigüité et celui des métaphores. Ce récit est comme toujours sous la plume de l’auteur : inattendu.
Malgré tout je concède que ce livre est loin d’être d’un abord facile, il demande qu’on lui consacre du temps car José Carlos Somoza va encore plus loin que dans ces autres écrits, et l’on peut d’ailleurs se demander jusqu’où il sera capable d’aller.
Fan inconditionnelle de cet auteur, je conçois que pour une première approche de l’univers de cet auteur, il vaut sans doute mieux commencer par « Clara et la pénombre » ou « La dame N°13 ».
A la fin de chacun des romans de Somoza, je pense à sa traductrice Marianne Million qui sait rendre, roman après roman, l’ambiance particulière de l’univers de Somoza et ses subtilités linguistiques.
Ce billet a déjà été partiellement publié dans LittéMag' N°2.